Neuf raisons pour ne surtout pas être agriculteur

Cela fait depuis six ans maintenant que j’ai créé mes jardins et que je m’efforce de les faire pousser. Pendant ces six années, j’ai rencontré beaucoup de gens qui étaient fascinés par mon activité et qui rêvaient de faire quelque chose de similaire. Ils étaient en quête de sens. Ils voulaient faire quelque chose de vrai. À chaque fois, après un coup de fil, après une journée de travail ou après un an d’effort, ils faisaient marche arrière.

Je me suis demandé pourquoi et j’ai défini une stratégie.

Je veux travailler avec des gens qui ont envie de s’engager pour longtemps, des gens qui aiment vraiment ce qu’ils font, comme moi, et qui ne vont pas changer de projet au contact de la dure réalité des choses. J’ai donc mis une stratégie en place, qui consiste à, simplement, mettre en avant la difficulté de ce travail, pour que seuls les plus motivés restent.

Voici donc 9 raisons pour lesquelles il ne faut surtout pas devenir agriculteur.

  1. C’est sale. Travailler avec les plantes, la terre, les engrais, l’eau, les outils, c’est salissant et ça use les habits. Vous serez forcément sale et en guenilles par moment. J’ai beau me laver les cheveux tous les soirs, mon oreiller est toujours plus sale que celui de ma femme. C’est comme ça. Si vous n’êtes pas du genre à ressentir de la fierté à avoir accompli un travail difficile et à porter sur vous, face au monde, la preuve de votre effort, ne devenez pas agriculteur.
  2. C’est pauvre. Ceux qui sont prêts à payer des centaines d’euros pour une écharpe et des millions pour un appartement bien placé vont regarder le prix au kilo de vos micropousses avec un air choqué. Comparer le prix d’un kilo de betteraves sur un iphone à mille euros, c’est courant. Notre société ne valorise pas l’agriculture. C’est difficile de bien y gagner sa vie. C’est comme ça. Si vous n’êtes pas prêt à réinventer les choses et à vous réinventer vous-même, si vous ne savez pas voir que c’est là où rares sont ceux qui les trouvent que le marché cache les plus grandes richesses, vous resterez pauvre. Ne devenez pas agriculteur.
  3. C’est ennuyeux. Il y aura des tâches répétitives. Il y aura des journées entières, sinon des semaines, à répéter les mêmes gestes, parfois pénibles. Je suis très sensible à l’ennui. Je ne pourrais pas faire ce que je fais si je n’avais pas de technique pour le supporter: J’écoute des livres et des podcasts. Si vous n’aimez pas la musique, si vous n’aimez pas avoir des écouteurs dans les oreilles, si vous n’aimez pas écouter des gens parler, si vous ne supportez pas la solitude, si vous ne voyez pas dans ces activités un moyen de rendre votre vie plus riche, ne devenez pas agriculteur.
  4. C’est méprisé. Certaines personnes vont vous féliciter, vous remercier ou vous admirer, mais ne vous y fiez pas. La plupart des gens ont un mépris viscéral pour les agriculteurs. C’est ancien. C’est inscrit. Si vous n’êtes pas prêt à supporter qu’on vous regarde de haut et si vous n’êtes pas sûr de pouvoir réécrire ce logiciel pour faire de l’agriculteur une personne respectée et admirée, ne devenez pas agriculteur.
  5. C’est long. Les idéaux de la semaine de quatre heures, de quatre jours, de 28h ou même de 35h, ce n’est pas pour l’agriculteur. La blague qui court, c’est de dire que les gens normaux travaillent de 9h à 5h et que les agriculteurs travaillent de 5h à 9h. Même si c’est un peu exagéré, et qu’on peut être agriculteur et travailler moins de 80h par semaine, il ne faut pas s’attendre à travailler peu et à réussir. Ce sera du travail, et il y aura probablement des jours où, pour cause d’imprévus, il faudra travailler de 5h du matin à 9h du soir. Si vous n’êtes pas prêt à donner de votre temps, ne devenez pas agriculteur.
  6. C’est pénible. L’heure de la robotisation totale agricole n’est pas encore venue. Si vous voulez devenir agriculteur et réinventer les choses, il faudra que vous découvriez le poids des choses. L’eau, c’est très lourd. La terre, c’est très dur. Le froid, c’est encore plus froid que vous le croyiez. Le soleil, c’est violent. Si vous ne voyez pas de beauté dans la difficulté, si vous ne ressentez pas de fierté à devenir résistant, ne devenez pas agriculteur.
  7. C’est agribashé. Il y a des problèmes dans l’agriculture. C’est aussi pour ça que c’est passionnant d’y chercher des alternatives. Mais n’ayez pas l’orgueil de croire qu’on vous épargnera parce que vous croyez faire les choses bien. La société regarde les agriculteurs et elle les juge avec un sans froid sans comparaison. Si vous êtes bio, on vous jugera. Si vous ne l’êtes pas, on vous jugera aussi. Si vous utilisez du glyphosate, on vous jugera. Si vous n’en utilisez pas, on vous jugera aussi. Si vous êtes cher, on vous jugera. Si vous n’êtes pas cher, on vous jugera aussi. Si vous n’êtes pas prêt à faire les choses parce que vous y croyez vraiment et si vous n’êtes pas prêt à n’écouter que la voix du marché sans vous soucier de celle des bien pensants, ne devenez pas agriculteur.
  8. C’est pour longtemps. L’agriculture, ça prend du temps. Ne croyez pas que vous monterez votre projet en deux semaines et qu’au bout d’un an vous serez tranquille. C’est une vérité pour tout projet entrepreneurial: Si vous vous lancez vraiment, vous vous engagez pour dix ans. Sauf que pour l’agriculture, c’est plutôt vingt. Si vous n’êtes pas capable de vous imaginer faire la même chose pendant longtemps, si vous êtes pressé, ne devenez pas agriculteur.
  9. C’est contraignant. Le digital nomade agriculteur n’existe pas. Un emploi du temps irrégulier, la fête jusqu’à l’aube trois fois par semaine, le voyage tous les mois, le week-end imprévu à la mer, il faudra y renoncer. En fait, le quotidien qui se prête le mieux à l’agriculture est plutôt traditionnel, familial, régulier. Si vous n’êtes pas capable de voir l’aventure et le mystère qui se cachent dans un projet agricole; si vous n’êtes pas prêt à renoncer à l’aventure traditionnelle pour accueillir une autre forme d’aventure plus intérieure et personnelle, ne devenez pas agriculteur.


Voilà neuf raisons pour lesquelles vous ne devriez pas devenir agriculteur. N’ayez pas honte. Ce n’est pas pour tout le monde. Ce n’est pas facile, et ce n’est pas donné. et puis, il y a mille autres belles choses à faire dans la vie, dont le monde a besoin, et qui sont plus faciles. Une chose est sûre, si vous persistez dans votre envie, allez travailler quelque part. Mettez la main à la pâte, vraiment. Allez désherber pour un agriculteur bio. Allez faire une journée de motoculteur au soleil. Et chez vous aussi: Semez, bêchez, compostez. Moi, je ne ferai marche arrière pour rien au monde. Pour moi, c’est le plus beau métier qui soit. J’aime mon quotidien, j’aime les gestes, j’aime mon rôle dans la société, j’aime chercher à résoudre des problèmes. Le fait que la faim dans le monde existe toujours me scandalise. Le fait que l’on ne cherche pas plus à améliorer la qualité et la diversité des produits agricoles me surprend. Le fait que la banlieue puisse se dessiner autour d’un nouvel agriculteur m’excite. Ce sont des défis qui me passionnent et qui rendent ma vie extraordinaire. Je suis fier et je me sens fort. Si vous me comprenez, devenez agriculteur.