Tendre la main

Ma fille grimpe au parc de jeu. C’est un beau parc de jeu, sur la riche et paisible côte nord du lac de Constance. Ma fille mesure un peu plus d’un mètre. Elle est courageuse. C’est haut et un peu trop dur pour elle. C’est un origami de troncs équarris, gris, bruts, qui mène à une cabane perchée de laquelle surgit un long toboggan d’acier inoxydable. Je la laisse grimper. Je ne l’aide pas. Je lui donne des conseils. Met ton pied là, ta main ici. Je l’ai déjà vu tomber. C’est terrible de ne rien pouvoir faire. Un enfant qui chute, c’est comme une feuille morte avec une âme et des yeux terrifiés. C’est lent et implacable.

Pourquoi je ne l’aide pas ? Parce que j’ai envie qu’elle soit en sécurité. Si je lui tendais la main, je serais soulagé pendant une minute. L’instant d’après, je devrais faire face à la simple vérité: elle ne devrait pas être là haut. Elle n’est pas capable d’y être. Pourtant, elle est plus haute qu’elle ne l’était avant que je l’aide, et sa chute serait plus dangereuse. Alors je ne l’aide pas. Je la laisse tâtonner. Je la laisse trembler, et parfois abandonner. Mais je l’encourage toujours. Et quand elle s’élance fièrement du toboggan qu’elle a conquis, elle et personne d’autre, je suis un père confiant.

Si on leur donne trop de calme, les plantes poussent mal. Elles sont fragiles. Protégez votre plantule de radis de la brûlure du soleil, de la claque du vent, de la faim et de la soif, ils seront longs, cassants, fragiles. Ils ne seront pas capables de donner une plante mûre, solide et résiliente. Ce plan de radis, quand viendra le grand vent et qu’il sera debout, ne pourra pas tenir, et son col se brisera. Alors, ces plantules, on les ventile; on les laisse sous le soleil brûlant; on les assèche, un peu.

Ne soyez pas trop impatient avec vous-même. Ne prenez pas tous les raccourcis qu’on vous donne, toutes les mains qu’on vous tend. Si vous avez un projet entrepreneurial, si vous voulez faire pousser de la nourriture, si vous voulez planter la graine d’un projet solide et résilient, laissez le temps faire. Apprenez par vous même. Apprenez à la dure. Frédéric Mazella, fondateur de Blablacar, le dit très bien. L’entrepreneuriat, c’est un escalier. On monte une marche après l’autre. Si quelqu’un vous raconte qu’il a pris l’ascenseur, il va tomber. Je ne dis pas qu’il ne faut pas saisir une bonne occasion quand elle se présente, mais ne vous laissez pas avoir par la solution miracle. Poussez à votre rythme, et assurez vous d’avoir une tige solide et des feuilles bien soudées, aux nervures denses.

Le chemin sera peut être long. Il faudra persévérer. Mais la personne que vous serez un jour vous remerciera. Pleine de la riche sève puisée par ses puissantes racines, le regard aussi fier que celui de ma fille qui s’élance, bien droite, forte. Elle vous remerciera.

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