Le travail

Il existe deux mondes dans le salariat. Il y a ceux qui sont payés à l’heure, et ceux qui sont payés au forfait. En anglais, on parle des blue collar et des white collar. En français, ce sont les cols bleus et les cols blancs.Les cols bleus travaillent à l’heure, dans des activités souvent manuelles et peu valorisées. Ils sont plus pauvres. Le bleu fait référence au bleu de travail traditionnel des ouvriers. Ce sont ceux qui nettoient, ceux qui bâtissent, ceux qui cultivent, ceux qui réparent.
Les cols blancs sont payés au forfait. Ils ont un salaire mensuel. Ils travaillent derrière un bureau, lisent, écrivent, parlent. Ils sont plus riches. Le blanc fait allusion à la couleur des chemises. Ce sont ceux qui conçoivent, ceux qui dessinent, ceux qui racontent, ceux qui analysent.
Depuis le début de l’ère industrielle, les cols blancs n’ont pas cessé de gagner du terrain. Les progrès technologiques semblent toujours rendre plus proche la disparition du labeur. Les robots, les machines, les imprimantes 3D allaient finir par supprimer le besoin du travailleur manuel.
Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, je crois que nous sommes à l’aube d’une inversion dans cette dynamique. Les outils d’écriture qui se développent s’attaquent aux cols blancs et à leurs compétences. Il se pourrait que le travailleur manuel n’ait pas dit son dernier mot.
Je ne ferais pas l’erreur inverse de croire que des machines vont faire disparaître les cols blancs. Mais assurément, si une machine peut faire mieux qu’une partie d’entre eux, il y aura un écrémage. Parmi les journalistes, les avocats, les commerciaux, les auteurs, les professeurs, les artistes, les codeurs… les moins bons, ceux qui se contentent du minimum, ceux qui ne sont pas capables de réflexion originale, d’invention, de penser différemment, vont se faire remplacer.
Ne resteront plus que les meilleurs. Ceux qui apportent vraiment de la valeur.
Qu’est-ce qui apporte de la valeur ? Ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire.
L’intelligence artificielle peut raconter ce que d’autres ont déjà raconté, mais elle ne peut pas parler de ce qui n’a pas encore été vécu. L’intelligence artificielle peut expliquer comment faire quelque chose que nous savons déjà faire, mais elle ne peut pas inventer quelque chose qui n’a pas encore été inventé. L’intelligence artificielle est bonne avec les mots, mais pas avec le faire.
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Pour ma part, j’ai décidé de devenir paysan, de produire de la nourriture, des fleurs, de travailler la terre, la nature, et d’en parler. J’ai choisi d’être là, à l’aube, et de voir le ciel s’embraser, de toucher la terre, d’écouter le vent, de sentir le parfum de la brume, et d’utiliser ma raison pour vous dire ce que j’en ai conclu.
Pendant mes recherches pour écrire cet article, j’ai découvert qu’il existait un troisième type de cols: Les cols rouges. En anglais, on les appelle les rednecks, ou les cous rouges. Le rouge, c’est la couleur de leur cou rougi par le soleil. En français, on traduit redneck par plouc, par bœuf, par péquenaud, par cul-terreux, par paysan.
Mon col n’est pas blanc, mon col n’est pas bleu. Mon col est rouge parce qu’il a la couleur de mon humanité, la couleur de mon sang, la couleur de mon vécu, la couleur de ce qui est, par définition, irremplaçable.
Soyez manuel, et parlez-en. Portez, sciez, bâtissez, bêchez et racontez ce que vous avez appris, ce que vous avez vécu.
Soyez blanc et bleus à la fois.
Devenez jardinier-écrivain, cuisinier-député, charpentier-compositeur, cantonnier-architecte.
C’est ainsi que vous donnerez au monde le meilleur de vous-même.
Il a besoin de vous.